Édition de la philosophie morale
Écrit par Johanes Narasetu
Image de couverture Pasio par Bung Carol
L’histoire du Christ aujourd’hui nous parvient grâce aux quatre évangiles et les lettres des apôtres aux premières communautés chrétiennes. Malgré des questions qui doutent de sa précision historique, il est incontestable que Jésus Christ était vivant plus ou moins il y a deux millénaires. Jésus n’est pas philosophe, certes, mais sa parole contient souvent des notions philosophiques qui méritent d’être réfléchies, dont celle dans Matthieu 10: 34, “Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée.” Son message dans cette partie semble opposer le cœur de sa mission, voire témoigner l’amour du Dieu qui compatit avec notre humanité. Comment s’explique t-elle cette opposition d’une voie rationnelle?
L’amour divin et l’épée ne s’appartiennent-ils véritablement?
Au premier coup, il semble difficile d’expliquer la façon par laquelle l’amour et l’épée s’appartiennent. Surtout quand on se fait face à ceux qui font exprès de ne chercher que falsifier la parole et la vie du Christ selon les quatre évangiles, ce message concernant la portée de l’épée pourrait facilement être contrasté avec son message de l’amour divin. Est-ce vraiment le cas?
Tout d’abord, il paraît acceptable que le langage de l’amour ne soit jamais conciliable avec la parole de l’épée. Surtout, dans une société qui use l’amour sous guise de l’acceptation de toute apparence, action, identité, et notion, un amour qui s’accorde avec tous n’a aucun rapport quelconque avec la nécessité de l’épée. Oui, dans l’amour de ce genre, aimer signifie s’accorder, une pratique qui est portée dans sa dimension politique sous l’étendard du gauchisme occidental.
Dans l’amour qui s’accorde, la nécessité de l’épée est insupportable. Il s’en suit davantage qu’une fois il y a un propos qui résiste à tout accepter, on le labélise en tant que ‘haine’ tout court. À l’égard de cet amour, celui du Christ doit être opposé.
Cependant l’amour s’accordant est-il la seule forme d’amour, pire encore, l’amour ultime? Très probablement non, du moins du point de vue du christianisme. Le problème de l’amour banal qui met l’accord en valeur est sans doute la confusion entre l’accord et l’acceptation. Il y a certes l’acceptation dans l’amour du Christ, mais sans aucun doute il n’y a aucun accord dans son amour.
Quelle est la différence entre l’acceptation et l’accord? La première comprend la miséricorde divine que possède Dieu malgré nos péchés. En tant que Dieu manifesté, le Christ est également la preuve de la miséricorde divine qui non seulement accepte nos péchés, mais aussi confronte activement le mal humain. À l’encontre de celle-ci, il n’y a aucune confrontation dans l’accord car celui-ci signifie un compromis, même face au mal. L’acceptation oppose clairement l’accord.
Du point de vue chrétien, l’amour divin se manifeste concrètement dans le pardon. C’est à travers du pardon que de la part de l’homme, être accepté requiert une responsabilité ainsi que du courage pour lutter contre le mal.
Ce n’est pas l’amour divin qui s’oppose contre le message de l’épée, mais plutôt un amour banal qui se met à genou à l’encontre de l’adversité.
Confronter le mal, tel est l’un des sens de la portée de l’épée. Non seulement au sens moral, mais aussi tout ce qui oppose, même diminue, la vérité, est également jugé mal. Comment s’adresse-t-on à cette notion au plus profond?
Quel est l’esprit philosophique de ce message apparemment contradictoire?
À la profondeur, ce message comporte une philosophie hautement rigoureuse, classique, et non-compromettante qui cherche et tient radicalement la vérité. Si la philosophie dans sa notion classique s’entend en tant qu’amour de la sagesse, la sagesse chrétienne ici est la recherche rigoureuse de la vérité.
Au cas de la parole du Christ, la vérité est déjà trouvée. Le Seigneur est la vérité, Dieu est comme la vérité est – ceci est bien évidemment une référence à la révélation de YHWH à Moïse dans le livre de l’Exodus. De plus, tandis que la vérité chrétienne est que Dieu est, il s’ajoute encore que l’Être est également l’amour. Cet amour se fait manifeste sur l’incarnation du Christ.
En insistant sur la vérité ultime que Dieu est et aime, il s’ensuit certain risque, à savoir, que certains l’opposerait. Dans le narratif des quatre évangiles, celle-ci se fait manifeste dans tous les débats ainsi que les oppositions de la part des pharisiens qui a terminé dans la crucifixion.
La vérité est défiante an aval et offensive en amont. L’opposition est dès lors un risque pour ceux qui cherchent et disent la vérité. La vie du Christ est le testament de cette vertu et son risque, du moins dans sa signification narrative. Sa vie n’est certainement pas la seule qui nous montre ce couple vertu-risque, mais son histoire est sans aucun doute l’une des plus grandes dans l’histoire humaine sinon la plus significative que jamais. En employant la parole de Jordan Peterson de son analyse du Christ, même dans son sens minimal, voire celui de narratif, son histoire est significative. Elle est réelle et offre un exemple ultime de la pire chose qui puisse arriver à la meilleure personne possible.
Au niveau plus profond, voire philosophique, la sagesse de la parole du Christ exprime une ontologie du couple vérité-mal, ou d’un adage plutôt chrétien dont nous parlons ici, du couple amour-épée. Le vrai amour n’est point pacifiste, mais radical. Il se ferait inévitablement face à l’opposition, à la haine. La radicalité de cette idée se fait manifeste dans la croix qui nous montre, du moins narrativement – ne fût-ce qu’il soit réel, que l’acte même de prêcher la vérité peut réellement nous condamner à la mort.
Par conséquent, le vrai amour est celui qui s’attache à, cherche, et lutte pour la Vérité. D’un point de vue chrétien, celle-ci s’ancre sur l’existence et l’amour du Seigneur. Ce qui est attendu de nous, c’est de chercher Dieu, et le reste nous sera donné. Il y auront des épées sur nos chemins, clairement, mais étant donné que nous visons à la finalité ultime, les oppositions qui nous attendent sont celles que nous désirons avec du courage et de la confiance.
Le vrai amour se dirige vers la vérité ultime, et il instaure le courage face à la haine, à l’épée qui nous attend.
Quel est le visé éthique du christianisme?
Cette philosophie de l’amour pour la Vérité qui nous encourage tout au long de chemin contient également une moralité, ou un visé éthique. Dans le cas du couple amor-épée, il se fait manifeste dans la volonté pour chercher et atteindre la vérité. L’Éthique chrétienne ne se contente pas avec le bien comme généralement connu de la tradition aristotélicienne, voire la recherche du Bien. Certes, il s’y trouve aussi, mais ce n’est pas le fondamental dans une approche chrétienne sur la vie et l’action. Le Moral ou l’Éthique s’abrite sous la Vérité.
En effet, l’action humaine dans l’éthique chrétienne ne met pas le Bien en tant que fin. La mise en valeur de l’éthique chrétienne reste toujours la Vérité. À l’opposé de la tendance contemporaine qui encadre la vérité sous l’égide de l’épistémologie et le bien sous la morale, la figure du Christ, y compris son action et sa parole, insiste que la vérité est bonne, voire morale, de sorte qu’elle doit être achevée. On doit lutter pour et essayer de saisir la vérité. Autrement dit, nous sommes responsables pour chercher et manifester la vérité.
Telle est également la raison pour laquelle l’approche chrétienne sur la vie et le monde oppose radicalement la subjectivisation du moral et du vrai chez le postmodernisme. La philosophie – à savoir l’éthique et l’épistémologie – chrétienne ne s’accorderait jamais au relativisme et post-structuralisme du genre derridéen et foucaldien. En employant le sermon du Christ dont on parle dans cette réflexion, l’approche chrétienne serait à l’épée devant l’inversement – voire la perversion – du vrai et du moral implicite chez les postmodernes.
Autrement dit, l’épée n’est point le but de l’incarnation du Christ, mais le risque inévitable engendré par une radicalité de son amour. L’amour divin est radical dans le sens qu’il propose la Vérité. Étant donné que cette Vérité nous est déjà révélée dans le personnage du Christ, la responsabilité des chrétiens serait de trouver ce qu’il faut manifester et comment agir du niveau personnel. En bref, c’est une éthique à partir d’une conscience d’avoir connu et été sauvé par ce qui Est qui s’est fait chair, le Seigneur en personne du Christ.
L’amour radical vient de la Vérité, et cela vaut tout le risque d’être opposé par le monde.